Petit ruisseau

Défense et illustration d'une philosophie du patrimoine. Partie 1

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Première partie: Défense d'une philosophie du patrimoine.

Comment peut-on continuer d’occulter la dimension philosophique du patrimoine ?

Le problème, il est vrai, est que cette philosophie repose sur une interprétation des symboles dont on peut redouter le caractère trop subjectif.

On pourrait donc croire la parole définitivement perdue.

Il suffirait en fait de réapprendre à lire. Nous disposons des référentiels qui permettent de comprendre le message laissé par nos ancêtres dans le patrimoine. Les réactiver, c’est retrouver l’accès à une intuition éclairée. Le symbole qui n’est pas qu’une allégorie sollicite cette intuition.

Le travail de l’herméneute aide à se relier (anagramme de relire) à ce que nos ancêtres se sont donné la peine de formuler dans le patrimoine.

« (…) le travail de l’hermeneus est justement de traduire ce qui a été proféré d’une façon étrangère ou incompréhensible dans une langue qui peut être comprise par tous.»

H.-G. Gadamer, La Philosophie herméneutique


La démultiplication des sites, des formes de formulation, leur déploiement sur tout le territoire, dans des lieux très fréquentés ou isolés, fait qu’on ne peut échapper à cette présence d’un symbolisme essentiel. Chaque génération doit se l’approprier.

« La promenade et la quête ne font que commencer. Elles doivent être poursuivies par les Amoureux de Science d’aujourd’hui et de demain, non seulement dans Paris mais dans toutes les villes et dans les villages de France, d’Europe et de multiples endroits du monde. L’héritage est encore considérable. On ne ferait pourtant que s’illusionner en ne voulant pas reconnaître qu’il s’amenuise chaque jour. En signaler la présence, partout où on la rencontre, c’est peut-être contribuer à sa sauvegarde. C’est en tout cas participer à la transmission d’éléments essentiels d’une antique mémoire où brille un orient sans lequel l’humanité court tous les risques de se perdre. » 

Bernard Roger, Paris et l’alchimie


La Philosophia Perennis est au fondement des sites sacrés et des Hauts-lieux. C’est la racine des civilisations.

Mais comme disait Kant, dans son opuscule intitulé « Qu’est-ce que les Lumières ? », il y a deux obstacles à l’éveil de la conscience d’un essentiel: la paresse et la peur.

Concernant la paresse : tout d’abord, ne pas rejeter a priori les référentiels que l’on ne s’est pas donné la peine d’étudier ! Sachant que la Philosophia Perennis, terme générique arrêté de façon pertinente par Aldous Huxley, se formule depuis la nuit des temps et sur l’ensemble du globe!

"Philosophia Perennis, la formule a été créée par Leibniz; mais la chose (…) est immémoriale et universelle. On trouve des rudiments de la Philosophia Perennis parmi le savoir traditionnel des peuples primitifs, dans toutes les régions de la terre, et, sous ses formes les plus pleinement développées elle trouve une place dans chacune des religions supérieures. Une version de ce Plus Grand Commun Diviseur de toutes les théologies antérieures et postérieures fut pour la première fois, mise en écrit il y a plus de vingt-cinq siècles, et depuis lors le thème inépuisable a été pris et repris, du point de vue de chacune des traditions religieuses, et dans chacune des langues principales de l'Asie et de l'Europe."

Aldous Huxley, La Philosophie éternelle. Philosophia Perennis, 1945


Plotin, troisième siècle après J.-C., confirme le caractère immémorial de cette façon de penser le vivant.

« Voilà pourquoi les anciens disaient que les idées sont des êtres, c’est-à-dire des réalités (…) c’est, me semble-t-il, ce qu’ont aussi compris les sages d’Égypte, soit pour l’avoir appris d’une science pleine d’exactitude, soit de façon innée, eux qui, on le sait, lorsqu’ils souhaitent exposer quelque chose de manière savante, n’utilisent pas ces caractères que sont les lettres (…), mais qui, en dessinant des images et en inscrivant sur les murs de leurs temples une seule image pour chaque chose, manifestent ainsi le caractère non discursif de l’intelligible. Ce qui veut donc dire que chaque image est une science, un savoir, une réalité particulière donnée tout d’un coup et qui ne relève ni du raisonnement ni de la délibération.»

Plotin, Ennéades, Traité 31


Plotin est le premier aussi à témoigner de la nécessité de faire preuve d’une certaine prudence, sous pression déjà de courants doctrinaux sectaires comme le gnosticisme (cf. « Contre les gnostiques », Traité 33).

Pour en revenir à la paresse comme obstacle, on pourrait prétexter le caractère abscons d’une philosophie si ancienne.

Le fait est que cette façon de penser moniste (tout est créé par un principe unique transcendant, sans qu’on ait besoin de parler d’un dieu quelconque) est loin d’être obsolète.

Les travaux « absolument modernes » de CG Jung ont rappelé l’importance vitale de l’activité symbolique. Sa « psychologie des profondeurs » s’inscrit dans le prolongement de la philosophie hermétique lorsqu’il débusque dans les produits de l’inconscient les manifestations d’un processus d’individuation, de déploiement possible et harmonieux d’un inconscient. La nature imposerait à chacun d’entre nous la nécessité d’intégrer ses contenus (formulés, ex-primés par des symboles) dans le but de réaliser au mieux la totalité de l’Être. Elle opèrerait de façon plus ou moins brutale selon les résistances de l’ego et les circonstances du vécu.

C’est là sans doute qu’intervient le ressort de la peur.

Les différentes versions de la Philosophia Perennis sont une invitation à déployer toutes les potentialités en effet de notre être, selon l’axe ordonnateur de l’esprit (comme principe créateur transcendant l’ego) qu’il faut solliciter et augmenter : la Philosophia Perennis est avant tout une métanoïa.

On se confronte dès lors au « refoulé » métaphysique dont Françoise Bonardel explique les raisons modernes.

« Oscillant entre rejet de tout « obscurantisme » passé, et fascination pour l’archaïcité, la modernité tardive ne pouvait qu’être tôt ou tard confrontée à son propre « refoulé », ressurgissant sous des formes irrationnelles en général primaires et parfois même sectaires. Ceux des modernes qui [ne sont] pas réfractaires à l’esprit traditionnel, ni prisonniers d’un historicisme forcené (…) » rencontrent en Hermès « (…) l’archétype d’une démarche et d’un mode de transmission associant étroitement donation de sens et pudeur du regard (occultation) (…) »

Francoise Bonardel, La Voie hermétique