Petit ruisseau

Défense et illustration d'une philosophie du patrimoine. Partie 2

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Deuxième partie : Illustration de la philosophie du patrimoine

Mon ouvrage intitulé Un chemin initiatique en plein cœur de Montmartre montre l’effort accompli par un grand nombre d’artistes-opérateurs, au 19ème siècle, pour réinscrire le message essentiel au cœur de la capitale.

Le dispositif complet du Louvre constitue un autre exemple de marquage magistral, une autre formulation à grande échelle de cette philosophie qu’il serait temps peut-être de réapprendre à lire et comprendre. L’axe philosophique du Louvre commence en amont de la cour carrée comme centre du dispositif, très exactement rue de L’Arbre Sec, avant de longer l’église Saint-Germain l’Auxerrois qui fait partie aussi du dispositif symbolique. L’axe Royal du Louvre prend donc sa source profonde en arrière-plan de la cour carrée.

Il y avait autrefois un autre point de départ du dispositif : il était matérialisé par le donjon du Louvre édifié par Philippe Auguste (1180-1223). Le cercle du donjon détruit sous François 1er représentait le centre d’origine sacrée de toute structure établie. Le corps harmonieux de la structure déployée était signifié par la forteresse carrée du premier Louvre. La cour carrée du Louvre actuel restitue ce symbolisme.

Le centre transcendant, créateur et ordonnateur de toute forme, était donc matérialisé par le cercle visible du donjon. Rappelons que la circonférence d’un cercle ne peut être calculée que de façon approximative et en faisant appel au nombre transcendant "pi" (C = πd. « C » représente la circonférence du cercle et « d » en est le diamètre. Autrement dit, la circonférence d'un cercle s'obtient en multipliant son diamètre par pi). Rappelons également la définition mathématique du divin, ou du transcendant si vous préférez, qui circule dans l’esprit des métaphysiciens tel Pascal depuis au moins Alain de Lille (XIIème siècle) : c’est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

Un autre centre existait d’ailleurs dans la configuration du Louvre de Philippe Auguste, sous forme d’un puits légèrement excentré par rapport au cercle du donjon dans le carré des murs de la forteresse du premier Louvre : peut-être y avait-il là un idéogramme complet montrant le centre visible d’une conscience éclairée, consciente d’elle-même et de sa responsabilité dans la création d’un monde harmonieux, équilibré, mais donnant également à percevoir un autre centre en creux, ouvert comme un puits sans fond sur le mystère des origines ; comme si la vie jaillissait d’un trou noir insondable…

Le dispositif continue son déploiement en aval de la cour carrée, tout au long d’un alignement très précis vérifiable et matérialisable aujourd’hui grâce à Google Earth. L’axe Royal ou sacré du Louvre a été marqué au sol et réaxé par le socle de la statue de Louis XIV réalisée par Le Bernin (1598-1680). Il s’impose comme tel aussi grâce à la perspective ouverte comme il faut de l’Arc de triomphe du Carrousel.

Il a fallu opérer cette rectification parce que la forme tardive en diapason du bâtiment achevé du Louvre, renforcée récemment par la pyramide de Pei, a ouvert un autre axe dont le fondement[1] semble plus artificiel.

L’axe Royal, qui se déploie à bien plus grande échelle, est plus évidemment archétypal. Il traverse en leurs centres les grands bassins des Tuileries, franchit la place géométriquement signifiante de la Concorde selon la visée exacte encore de l’Obélix, avant de remonter les Champs-Elysées, de passer sous l’Arc de Triomphe (place de l’Etoile) et de frôler un pignon de la Grande Arche de la Défense (un peu désaxée) ainsi que la passerelle esquissée sciemment pour former une perspective à prolonger mentalement. L’axe sacré continue sa course virtuelle à travers les méandres de la Seine puis atteint le point terrestre limite de l’église Saint-Martin d’Harfleur me semble-t-il, à l’embouchure de l’ancien canal du Havre (de paix absolue, peut-on augurer) qui mène à la Mer.

La ligne de méditation métaphysique menant jusqu’à la Manche a été réhabilitée et retracée par André Le Nôtre (1613-1700). Elle existait bien avant le Moyen-Âge. Il y a eu par la suite d’autres contributeurs œuvrant ainsi à l’objectivation de l’invisible.

Voici un aperçu très succinct de ce qui se formule tout au long de l’axe Royal du Louvre qui n’est pas qu’un decumanus romain (comme l’a démontré Charles Imbert dans son « Paris ésotérique »)

L’axe Royal ou sacré est incliné de 26° par rapport à l’équateur. Le nombre 26 correspond au nom imprononçable de JHWH dans la Kabbale. Ce nombre signifie la dimension-forme cosmique, donc matérielle, que prend le principe transcendant la raison humaine.

L’axe Royal montre comment la vie se déploie dans l’espace et le temps, et quelle harmonie et beauté elle est en mesure d’engendrer lorsque l’on ne perd pas de vue le principe qui l’informe comme il se doit. Ce principe créateur et ordonnateur est le Un, en germe dans chaque être et dans le monde. L’activation de ce germe Un auquel renvoie subtilement la légende de Saint-Germain l’Auxerrois (à lire dans la langue des oiseaux), fait que la vie n’est pas ou ne devient pas un arbre sec ! Sachant que ce Un est présent en chaque être, à chacun de favoriser son déploiement, son épanouissement. C’est la responsabilité aussi des conducteurs de peuples dont les plus connus si ce n’est les plus grands sont représentés par la statuaire du jardin des Tuileries.

La finalité ultime du processus est l’union totale par rapprochement-compréhension de la nature même du principe, qui induirait une ouverture totale alors de la structure limitée de l’être de l’ego, limitée par l’inconscience, l’inconséquence et la peur.

Les principes du bouddhisme, avant le bouddhisme, sont inscrits en quelque sorte sur notre territoire. Ils l’ont été par de lointains ancêtres. La désignation « Louvre » peut renvoyer aux ligures, peuple autochtone qui a précédé les celtes et dont la divinité principale était Lug, qui peut donner « lou » confondu avec « loup ». Le point extrême de visée de l’axe Royal, qui se trouve à l’emplacement d’une église Saint-Martin dans le village d’Harfleur, laisse aussi supposer le remplacement d’une pierre (menhir, dolmen) de marquage immémorial de cet axe par une église (selon l’esprit de Saint-Martin, qui a détruit ou transformé de nombreux sites païens mégalithiques), ceci à plus de 170 km tout de même du point de départ de cet axe.

Pour revenir à la cour carrée comme centre originel quelque peu modifié mais toujours actif du dispositif, remarquons tout d’abord, en levant les yeux, qu’elle est bardée de représentations hermétiques, avec notamment la répétition insistante de certains emblèmes de cette façon de penser la vie : le caducée d’Hermès, l’ouroboros, la figure de Diane chasseresse.

La cour carrée a été minutieusement ornementée tout au long des règnes allant d’Henri II à Louis XVIII : c’est donc 300 ans de volonté et d’action continues et concertées afin de parvenir à formuler précisément le « message » évoqué dès l’entrée de la cour carrée, coté pyramide.

Le socle de la première statue à droite de l’entrée est l’une des seules à avoir un titre : « Le Message » ! L’orientation du bras de la figure féminine représentée nous conduit à observer immédiatement, en hauteur sur le pignon inverse, un magnifique coq solaire ceint du serpent ouroboros. Cette femme-âme nous invite donc, sans trop de mystère, à retrouver notre propre centre solaire qui se trouve quelque part, encore perdu éteint, dans les profondeurs caverneuses de notre inconscient. Comment rejoindre ce soleil intérieur dont le coq annonce par anticipation l’aurore ?

Le message à comprendre en lisant-interprétant attentivement ce qui est signifié sur trois niveaux du bâtiment pourrait débuter ainsi : Dans le carré de ta finitude, dont tu dois commencer par prendre conscience, amorce la courbe (dans le sens lévogyre de la dissolution des certitudes de l’ego), le cercle d’une méditation suivie. Féconde ainsi la substance encore informe de ton âme inconsciente et sauvage[2], par le feu-soufre de l’esprit d’une intuition éveillée… (méditation à poursuivre in situ)


[1] Il repose sur l’hypothèse complexe d’une projection au sol du Temple de Louxor…

[2] Voir la statue d’Aphrodite sauvage.